L’histoire des plaques émaillées belges
Au fond, que sait-on de ces plaques pour spiritueux issues de l’artisanat belge, aux couleurs vives et témoins d’un savoir-faire passé ? Pour y répondre, Jan De Plus propose le livre « Santé !… de fer » et une double exposition à Hasselt.
Sur internet, les collectionneurs se les arrachent. Il n’est pas rare de voir une pièce partir pour plusieurs centaines d’eu-ros. Désormais, ces « bijoux » ont même droit à une exposition dans le Limbourg et à un livre. « Il y a quelques années, le Musée du ge-nièvre à Hasselt m’a demandé si j’étais disposé à composer une exposition as-sortie d’un ouvrage autour des plaques émaillées belges sur des boissons spiri-tueuses. Une demande qu’il aurait été difficile de refuser. Ma passion pour les plaques émaillées ne connaît en effet que peu de limites. Mais le doute s’est emparé de moi : le projet était-il à la hauteur de l’ambition ? Existe-t-il tant d’enseignes belges sur cette thématique à même de pouvoir remplir une salle d’exposition ? Peu à peu, le problème s’est même retourné contre moi et j’ai commencé à me demander si je disposais de suffisamment de salles pour exposer toutes les plaques », écrit le commissaire Jan De Plus.
On l’aura compris : la Belgique semble bénéficier d’une place de choix dans l’industrie de l’émail. Son origine remonte au XIXe siècle quand un certain Moll, propriétaire foncier allemand, découvre les possibilités de l’émaillage de la fonte. Si la technique de l’émaillage d’objets – soit une couche de verre colorée ou non – existe depuis plus de 2.000 ans, elle ne servait qu’à orner ledit objet. La révolution industrielle change les perspectives, avec la production massive d’acier et de fonte, notamment utilisée pour les usages domestiques comme les poêles ou les cuisinières. David Moll, le fils du précédent, constate que l’émaillage d’ustensiles en fonte plaît surtout à la bourgeoisie bruxelloise, sa plus importante clientèle. En 1830, la Belgique naît, ce qui implique aussi l’apparition de taxes à l’importation. Ni une ni deux, David Moll installe une fonderie et un atelier d’émaillage du côté de Gosselies, berceau de l’industrie belge de l’émail donc et lieu où la métallurgie offre toutes les matières premières nécessaires au secteur. De nombreuses autres émailleries voient le jour ensuite, toutes ou presque spécialisées dans les ustensiles de cuisine émaillés. À l’époque, il n’est pas encore question de plaques publicitaires, la publicité se cantonne aux annonces dans les journaux locaux. Les premières plaques émaillées apparaissent dans les rues dans les années 1880, d’abord pour renseigner les noms des artères de la voirie, apprend-on dans « Santé !… de fer ». Puis les magasins s’y mettent pour soigner leur devanture. Avec un premier émailleur belge qui flaire le filon et se spécialise dans la plaque publicitaire émaillée,
« La Manufacture de Plaques et Lettres Émaillées » d’Édouard Busath à Schaerbeek. Bientôt suivi par d’autres, comme l’atelier des « Émailleries de Koekelberg », qui s’imposera comme le leader à Bruxelles. Mais la Première Guerre mondiale vient saper le développement de ce nouveau business, qui n’atteindra dès lors son apogée que durant l’entre-deux-guerres.
DISTILLERIES BELGES ET ÉTRANGÈRES S’Y METTENT
Poudres à lessiver, bières, assurances…toutes les promotions sont bonnes. Les plaques publicitaires émaillées décorent les rues et les places, habillent les cafés et magasins. Les firmes fabriquant des boissons spiritueuses s’y mettent aussi. « Peu de producteurs de spiritueux ont eu recours à cette forme particulière, semble-t-il en tout cas », reprend Jan De plus. « Nous avons recensé 96 plaques en émail pour 39 entreprises, contre 350 affiches de pancartes exécutées pour environ 150 distilleries sur la période 1870-2000. Compte tenu de la durabilité du support, on pourrait s’attendre à ce que les plaques émaillées soient nettement plus nombreuses que les affiches éphémères ou les cartons publicitaires fragiles, mais ce n’est pas le cas. » Fox, Bruggeman, Cuvelier, Elixir d’Anvers, Biercée, Fryns, Rubbens s’y mettent néanmoins… Tout comme des entreprises étrangères comme Byrrh ou Martini utilisent aussi les plaques publicitaires pour leur offre d’apéritifs alcoolisés. Jan De Plus s’en explique dans son ouvrage : « Bon nombre de boissons étrangères disposaient d’une succursale en Belgique. Il pouvait tout aussi bien s’agir d’un distributeur que d’une véritable usine d’embouteillage. Comme c’était de coutume à l’époque, ils faisaient fabriquer leurs plaques par des émailleurs belges. »
Les firmes craquent pour ces plaques publicitaires dites « longue durée ». Il faut dire que l’émail protège, permettant de résister aux intempéries ou à l’usure du temps. « L’émaillage n’est rien d’autre que l’application d’une couche vitreuse colorée sur un objet en argile ou en métal. C’est avec ces deux éléments essentiels, l’émail et le métal, achetés à d’autres entreprises, que l’émailleur se met au travail. Le processus de fabrication est si exceptionnel qu’il est globalement immuable depuis 100 ans », développe l’ouvrage qui renferme aussi un large catalogue.
Les plaques sont d’abord recouvertes d’une couche de couverture, en barbotine d’émail blanche, qui permettait de mieux faire ressortir les couleurs appliquées par la suite. Cuite au four puis refroidie, cette couche était ensuite recouverte des suivantes, dans les couleurs que nécessitait la publicité. Les dessinateurs, eux, préparaient les pochoirs qui donnaient les formes des annonces. « Les couleurs sont alors appliquées couche par couche. C’est magique à voir. Lorsque j’ai moi-même fait fabriquer une telle plaque il y a trente ans, j’ai tout de suite eu le coup de foudre », rejoue Jan De Plus pour la VRT.
LA FIN D’UNE ÉPOQUE
Si la plaque publicitaire émaillée n’est pas une spécialité belge, la production noir-jaune-rouge est très appréciée des collectionneurs. Et pour cause, toutes celles fabriquées entre 1926 et 2007 portent une série de données parmi lesquelles l’année d’émission et le numéro de l’entreprise responsable. Une particularité que l’on doit à l’évolution de la législation belge sur le droit d’affichage, tout simplement.
Mais les modes évoluent… À partir des années 50, la demande de ces publicités particulières chute. « Les émailleurs promettaient que leurs plaques émaillées conserveraient leur couleur pendant au moins 30 ans et ne rouilleraient pas », précise Jan De Plus. La méthode ne séduit plus, les publicitaires se tournent vers des matériaux moins chers comme le plastique ou l’aluminium. Dès les années 1960, la plupart des émailleries belges ferment. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une, l’Émaillerie Belge, à Forest. L’exposition à Hasselt, elle, propose quelque 200 plaques publicitaires pour spiritueux. 50 collectionneurs ont été sollicités, parmi les-quels un jeune garçon de 14 ans, preuve que ce savoir-faire belge a su traverser les générations.
« Santé !… de fer », Jan De Plus, Karl Scheerlinck, Yves Segers, éd. Weyrich, 240 p., 50 euros.
« Expo IJzersterk. Belgische emailborden voor sterkedrank » : jusqu’au 7 janvier 2024 au Musée du genièvre et au Het Stadsmus de Hasselt.
Un article signé Rodrigue Jamin, pour l’hebdomadaire SoirMag, 01/11/23.
« Santé !… de fer – Plaques émaillées belges de spiritueux » de Jan De Plus, Karl Scheerlinck & Yves Segers est disponible en librairie et sur notre e-shop :