Un nouveau souffle d’Anvie
Dans son premier roman, le journaliste du « Soir » Pascal Lorent distille les ingrédients d’un polar rural efficace, dans les pas d’un policier en quête d’une nouvelle vie.
Il tient son surnom du plus grand des écrivains : Hugo. Son nom de famille d’une ascendance autrichienne, bien que prononcé « à la belge », ses racines maternelles étant ancrées dans le pays de Charleroi. Mais c’est à Paris qu’Hugues Ballinger use de ses talents de flic, jusqu’au jour, au cœur d’un été caniculaire, où son commissaire divisionnaire brandit devant lui « Anvie », du nom de la ville du Loiret dans laquelle le journaliste d’investigation Philippe Bondieu a sauvagement été assassiné, de nuit, sur le pas de la porte de sa maison. Quel est le bras qui l’a frappé ? A ce policier solitaire, d’abord plutôt rugueux, de dénouer les fils de l’affaire, sous la responsabilité de la gendarmerie de San-lys, bourgade sans histoire. Tellement que le rédacteur en chef du journal local peine à trouver matière à boucler ses pages : les conclusions de l’enquête de Ballinger seraient, à cet égard, plus que bienvenues. Un scoop, peut-être, à l’horizon ?
Avant cela, dresser l’état des lieux et l’inventaire des forces en présence et de ceux qui auraient pu en vouloir à Philippe Bondieu, au point de mettre à sac, avec une application bizarrement méthodique, son domicile. Les soupçons de Ballinger pourraient se tourner, non loin de l’hôtel Les Deux Pins où il a posé ses valises, vers la famille Ferri. Le fermier anarchiste et sa fille n’offrent-ils pas l’asile à des anciens prisonniers, en phase de réinsertion sociale ? Ou vers le maire de Sanlys, omnipotent, bienfaiteur de la ville, qui lui a « offert », outre une bibliothèque et un centre commercial, un stade de foot et une équipe première qui, le dimanche, rassemblent les locaux autour des stars locales du ballon rond – si peu locales pour le coup.
Retour à la vie
Journaliste au pôle Economie au Soir, Pascal Lorent se détourne le temps d’un roman des matières (sociales, emploi, pension, précarité) qui lui sont chères au quotidien, avec un récit policier où les apparences sont – toujours – trompeuses, qui met Anvie sens dessus dessous, vu par l’endroit, et par l’envers. La petite ville, mais aussi ses habitants (maire, policier, journaliste, bibliothécaire, commerçants…) qui composent une galerie bien fournie de personnalités, tout en faux-semblants, croquées avec de beaux effets de réalisme.
Au centre du jeu, particulièrement, avec son personnage de flic tourmenté, hanté par un amour fantôme, pour qui ce Retour à Anvie a tout d’un parcours intime qui mène à une nouvelle vie, sans Marie, sa compagne décédée accidentellement. Des « Supplices » (titre de la première partie), le roman évolue vers une « Résurrection », trajectoire qui est d’abord celle de son héros « désemparé, désorienté, déshumanisé », « anéanti », plongé dans un « monde entièrement gris et agueusique », comme il le décrit.
Ce qui ne le détache pas de son en-quête, très « simenonienne » et fourmillant de références contemporaines (le bornage de téléphone, par exemple, qui s’avère décisif pour la résolution). Sur tous les tableaux, Pascal Lorent se révèle (« se confirme », pour les lecteurs du journal) un observateur affûté et discrètement amusé, en permanence animé de… l’envie du beau, du bon – dans les assiettes ou dans les verres.
Thriller rural prenant au x atmosphères soignées, récit vibrant d’une rédemption ; les deux vont de pair ici, les clefs de l’un ouvrant les portes de l’autre. À contrario, rien n’interdit de penser qu’il y a bien plus d’un romancier en Pascal Lorent, et bien d’autres retours possibles.
Un article signé Cédric Petit pour le journal Le Soir, 14/10/2023.
« Retour à Anvie » de Pascal Lorent est disponible en librairie et sur notre e-shop :