Un très beau roman, émouvant et poétique
Voilà un très beau roman, émouvant et poétique, avec des allures de conte fantastique tout en étant bien ancré dans le monde d’aujourd’hui. Une statuette change la vie d’un homme et l’entraîne dans des aventures et des voyages, réels et oniriques, pleins de rencontres et de surprises, pas toujours agréables…
Julius est solitaire et désœuvré. L’entreprise où il était livreur a fermé. Le voilà sans emploi et sans occupation. Pour tromper son ennui, il erre dans la ville et, entre dans une boutique, « une de ces boutiques hybrides mi-antiquaire, mi-brocanteur qui vendent des objets d’art ou décoratifs dont la plupart se prétendent très anciens. »
Le vendeur est un petit homme. Nous le reverrons plusieurs fois au fil du roman et lui aussi, comme dans les Mille et une nuits, racontera une douloureuse histoire personnelle. Né aux États-Unis, il a dû, à vingt ans, partir au Viêt-Nam où il a fait le malheur d’une famille à cause d’une cuillère de riz.
Mais revenons à Julius et à cette première rencontre où le vendeur lui dit, tout en postillonnant généreusement : « – Regardez par ici, vous trouverez certainement ce qui vous intéresse !
Il avait accompagné cette injonction d’un mouvement du menton qui avait envoyé l’une de ses déjections baveuses en plein milieu du présentoir.
Un de ses postillons les plus gras aboutit pile sur l’un des objets.
Julius le remarqua tout de suite : c’était une statuette grecque ou romaine d’environ vingt-cinq centimètres représentant un personnage mi-homme, mi-bouc au sexe dressé et c’est au bout de ce sexe que brillait justement la gouttelette. »
Cette mystérieuse statuette est au cœur du roman, du prologue jusqu’à la dernière page. Est-ce le dieu Pan, protecteur des bergers et des troupeaux, où une représentation du diable ? Dispose-t-elle de pouvoirs magiques ? Difficile à dire mais à partir du moment où Julius l’achète, il a le sentiment de ne plus rien décider de sa vie. « Tous ses actes obéissaient à une impulsion qu’il suivait aveuglément. »
Outre le brocanteur, Julius rencontre ou retrouve plusieurs autres personnages qui jouent chacun leur tour un rôle dans cette histoire.
Il va tout d’abord rendre visite à sa sœur qui est très âgée et presque aveugle. Quand elle touche la statuette achetée par son frère, un souvenir ancien lui revient en mémoire et elle va partir pour un voyage qui sera pour le lecteur, avec la visite d’une grotte quelque part en Afrique, une nouvelle histoire enchâssée dans le roman.
Julius va croiser aussi par hasard une ancienne prostituée, Lieve, qui s’était montrée très gentille avec lui autrefois. Elle ne pratique plus sa lucrative activité et lui propose de l’accompagner à Dresde où elle vit maintenant chez sa grand-mère et travaille dans une association qui vient en aide aux plus démunis. Nous voici en route pour une nouvelle aventure.
Les rencontres ne sont pas toutes aussi agréables que celle avec Lieve. Alors qu’il se promène près de Dresde, il entre dans une forêt où il se fait sauvagement agresser. « Soudain, Julius se sentit serré entre des bras puissants, il fut jeté au sol, il avait beau se débattre, il ne parvenait pas à se défaire de cette étreinte, il tentait pourtant de cogner, de tordre et de griffer, il sentait sur sa peau le contact d’une fourrure rugueuse, il se sentait prisonnier d’une forêt de bras, de pattes et de poils, il encaissait des coups dans les côtes et sur le visage, il lui semblait se battre avec la forêt entière. » Par qui est-il ainsi maltraité ? Pourquoi ? Comment va-t-il sortir de cette périlleuse situation ?
C’est tout le plaisir de ce roman que de se demander à chaque instant ce que va devenir Julius et quelle est la logique de tous ces rebondissements. Le prologue nous projette dans une ville en guerre au Moyen-Orient, la fin nous y ramène, la boucle est bouclée. On ferme le livre en se promettant de l’ouvrir à nouveau un jour pour revivre cette étrange histoire, pleine de bruit et de fureur mais aussi de tendresse et de poésie, et accompagner Julius sur le chemin de sa destinée.
Pour un premier roman c’est une belle réussite. À suivre…
Un article signé Serge Cabrol pour Encres vagabondes, 27/6/22
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