17 ans, un âge sérieux
« Le Premier accroc » lu pour Le Carnet et les Instants
La mère toujours à nous faire croire que notre famille est le meilleur endroit du monde. Ne pas sortir seule dans le village, ne pas parler aux étrangers, ne pas aller dans le fenil, car un ballot pourrait nous écraser, surtout ne pas passer derrière la Schubert, car elle tape du sabot, faire attention aux trains, car l’un peut en cacher un autre, choisir ses fréquentations, car il y en a de mauvaises, ne pas embrasser les garçons le premier soir, car l’appétit des hommes est grand… une description de l’extérieur en un univers monstrueux. Des trucs qui déforgent le caractère.
Labourée par cette famille gaumaise, la jeune Elsa Guillaume se coltine la répétition des jours mornes au sein d’une ferme crottée et d’une sororie de sept filles. Les sœurs – appelées de leur prénom par leur mère et selon leur ordre d’arrivée par leur père – sont tenues d’assumer de multiples tâches, de participer et, surtout, d’obéir. L’existence, contenue dans l’accomplissement de gestes laborieux et la préservation obstinée des apparences (les cent cinquante-six âmes que compte le village sont autant de mauvaises langues en puissance avides de lécher leur prochain), n’étincelle que lors de fugaces moments : les échappées avec la solaire Véronique (débarquée de la capitale à la défaveur d’un divorce), les répliques littéraires échangées avec la mère au détour de corvées, les visites à la bibliothèque communales et quelques instants de complicité féminine.
« Loin d’un lieu de tous les possibles », l’adolescente implose d’un ennui acide, dans l’entremêlement des individualités et l’annihilation de tout horizon. Par de brèves phrases-paragraphes, langue haletante, Nathalie Nottet donne à sentir son asphyxie. Acculée, coincée en elle, la Triolet se met à se confier à une autre Elsa, illustre et libre, celle du Premier accroc coûte deux cents francs. Et c’est cette correspondance unilatérale qui est donnée à lire, se déliant au fil de pensées qui racontent, questionnent, établissent des listes, maudissent, désespèrent. Elsa, immensément seule. Son inexpérience lui apprend à son corps défendant que les erreurs se paient cash, que l’abandon ne connaît pas l’oubli et que les entraves familiales ligotent la vie. Elle scrute le théâtre intérieur de son drame intime, reléguée à un rôle de figurante impuissante, et aspire à réparer Le premier accroc, guidée par les mots de la muse d’Aragon. « Juste à [s]e recréer un récit. Une autre histoire. Une autre fin. » Elsa-la-silencieuse parviendra-t-elle à se faire entendre ou hurlera-t-elle à Lune ? En tout cas, Nottet, elle, a su lui tendre une oreille attentive et empathique…
Samia Hammami pour Le Carnet et les Instants
« Le Premier accroc » de Nathalie Nottet est disponible en librairie et sur notre e-shop :