Cent dix brasseries en Wallonie !
Cent dix brasseries en Wallonie ! Ce statut chiffré méritait bien un livre. Deux livres, même ! Thomas Costenoble s’est chargé du paysage brassicole brabançon et hennuyer, et Jean-Luc Bodeux a lui exploré les provinces de Liège, Namur et Luxembourg. Le photographe Noé David, lui, a eu le plaisir de visiter la totalité des brasseries wallonnes !
À chaque village sa brasserie
En fouillant un peu dans notre généalogie, on peut, en tant que Belge, être à peu près sûr de débusquer un ancêtre brasseur. Il faut dire qu’au début du siècle passé, plus de 3000 brasseries étaient actives dans notre pays, dont près de 1200 en Wallonie. Chaque ville, chaque village possédait au minimum une à deux brasseries et leurs propriétaires faisaient souvent partie de la classe des notables, tout comme le docteur, le curé ou le notaire. Mais les deux guerres mondiales et l’émergence de grandes brasseries ont provoqué un changement radical et même un véritable séisme dans le paysage brassicole national. De nombreuses brasseries se restructurent, disparaissent ou sont absorbées par des entreprises de taille plus importante. La situation est telle qu’au milieu des années quatre-vingt, notre pays ne compte plus qu’une petite centaine de brasseries, dont à peine vingt-trois établies en Wallonie. De ces vingt-trois entreprises wallonnes, seules dix sont encore actives aujourd’hui… Mais si nostalgie il y a pour quelques grandes bières disparues, c’est vers le présent et l’avenir qu’il faut se tourner.
Blonde, blanche, brune, noire… on en brasse de nouveau partout en Wallonie !
Fort heureusement, depuis quelques années, on constate en Wallonie l’émergence d’une nouvelle génération de brasseurs qui veulent perpétuer la tradition et contribuer à la relance d’une nouvelle dynamique. En moins de dix ans, le nombre de brasseries wallonnes a pratiquement triplé pour dépasser le chiffre symbolique de 100. Tout Wallon a désormais un parent, un voisin ou un ami brasseur… Une réalité qui régale tant il y a du choix et de la qualité. Des bières qui vivent grâce au doigté passionné de dizaines d’hommes et de quelques dames dont l’histoire et le parcours méritent d’être contés, autant que leurs produits dont on vous invite à déguster les saveurs, avec ou sans modération.
La Wallonie brassicole a donc bien changé en une trentaine d’années, et changera encore, car la concurrence est rude tant à l’intérieur de nos frontières qu’à l’extérieur, même si l’aura de nos bières reste forte. Mais rien n’est éternel. Pour preuve, les grandes surfaces riaient hier au nez des petites brasseries qui voulaient introduire leurs bières dans leurs rayons. Aujourd’hui, elles leur font les yeux doux, car le marché sentant le terroir, le vrai et le faux, est porteur.
Hier, les industriels de la bière se moquaient eux aussi des bières spéciales. Maintenant, ils plongent sur ce marché juteux en rachetant de petites unités pour étoffer leur portefeuille de bières. Demain est un autre jour. La bière fermentera toujours, mais il subsistera toujours une épée de Damoclès sur la tête de certains brasseurs, car au-delà de la passion, la rentabilité reste toujours le nerf de la guerre brassicole. Ceci dit, il faut positiver, et vous, chers consommateurs gambrinaux, soyez fiers et heureux de demander, là où vous vivez, des bières de chez nous, tant il y a de la diversité et de la qualité.
Hommage aux vrais brasseurs
Dans les deux tomes de Bières et brasseries de Wallonie, les auteurs se sont limités à décrire le parcours des « vrais » brasseurs, ceux qui ont créé leurs bières et qui ont investi dans des bâtiments et dans du matériel pour brasser eux-mêmes, même si ce n’est que partiellement pour quatre ou cinq d’entre eux. Brasser n’est pas simple, techniquement et financièrement. Il faut rendre hommage à ceux qui ont fait ce choix de base fondamental. Le matériel coûte cher et la production est exigeante. Certains brasseurs ont du mal à en vivre, c’est très clair, ils cravachent au départ pour obtenir un produit de qualité et stable, alors que les « brasseurs commerciaux et à façon », qui font brasser ailleurs, sont plus sur le velours. Cela n’enlève rien à la qualité des bières à façon et à étiquettes par rapport à celles des brasseurs-producteurs, parfois moins rigoureuses d’ailleurs, il faut le reconnaître, mais nous tenions à préciser ces deux parcours et mettre les producteurs en évidence. Ils assument ce choix qui reste une source de frictions entre brasseurs producteurs et brasseurs vendeurs, et parfois paradoxal puisque des brasseurs-producteurs acceptent de brasser à façon pour d’autres, souvent pour rentabiliser leur investissement.
Mettre en avant les producteurs, c’est exactement ce que fait l’Apaq-W en ayant créé en 2015 le concept d’identification « Belgian Beer of Wallonia », qui permet au consommateur de reconnaître facilement les bières wallonnes.
La culture de la bière belge inscrite au patrimoine de l’UNESCO
Malgré une évolution importante du paysage brassicole de notre pays, la réputation de la bière belge s’est maintenue au fil des années à un très haut niveau. L’inscription de la culture de la bière belge au patrimoine de l’UNESCO en mai 2017 en est une preuve éclatante.
Cette reconnaissance, on la doit tout d’abord aux brasseries historiques qui ont, contre vents et marées, poursuivi leurs activités et traversé le temps malgré des périodes de crises, de doutes et de remises en question. Des générations d’hommes et de femmes qui ont eu la volonté de perpétuer un savoir-faire et une tradition. Épinglons parmi elles les brasseries familiales Lefebvre, Dupont, Friart, de Silly et bien sûr la plus ancienne brasserie wallonne encore en activité, la brasserie Dubuisson de Pipaix.
La réputation de la bière belge ne serait pas ce qu’elle est non plus sans la vision, l’indépendance et la rigueur des monastères trappistes, qui ont développé et maintenu une production qualitative tout en faisant abstraction des contraintes commerciales, des pressions financières et des phénomènes de mode ou de standardisation des produits. Grâce aux brasseries de Chimay, de Rochefort et d’Orval, la Wallonie s’affiche comme l’une des régions les plus prestigieuses en matière brassicole.
Mais la nouvelle génération de brasseurs contribue sans aucun doute aussi à l’aura de nos bières. Elle crée une émulation intéressante qui valorise un savoir-faire et stimule les innovations, tout en proposant une gamme de bières à forte personnalité. Le succès international et la croissance exponentielle des brasseries De Ranke, Lupullus, Bertinchamps ou des Légendes en sont quelques exemples marquants.
La Wallonie brassicole a donc bien changé en une trentaine d’années, et changera encore, car la concurrence est rude, tant à l’intérieur de nos frontières qu’à l’extérieur. Bien malin qui peut dire comment évoluera la situation dans les dix à vingt années à venir. Sommes-nous dans une bulle qui explosera prochainement et laissera certaines structures nouvellement installées sur le carreau, ou bien se dirige-t-on vers une multiplication du nombre de brasseries et une croissance de la demande en bière à forte identité ?
Car les choses changent bien vite dans un sens comme dans l’autre, à l’image des grandes surfaces qui, hier encore, riaient au nez des petites brasseries qui voulaient introduire leurs bières dans leurs rayons. Aujourd’hui, elles leur font les yeux doux, car le marché sentant le terroir, le vrai et le faux, est porteur.
Il y a peu, les industriels brassicoles se moquaient eux aussi des bières spéciales. Maintenant, ils plongent sur ce marché juteux en rachetant de petites structures pour étoffer leur portefeuille. Demain est un autre jour. La bière fermentera toujours, mais la pérennité de certaines structures est loin d’être garantie, car au-delà de la passion, la rentabilité reste toujours le nerf de la guerre brassicole. Ceci dit, il faut positiver, et vous, chers consommateurs, amateurs de produits nobles et authentiques, soyez fiers et heureux de demander, là où vous vivez, des bières de chez nous, tant il y a de la diversité et de la qualité.
« Bières et brasseries de Wallonie en Provinces de Namur, de Liège et du Luxembourg » de Jean-Luc Bodeux et Noé David (Photographe) est disponible en librairies et sur notre e-shop au prix de 33 €.
« Bières et brasseries de Wallonie en Provinces du hainaut et du brabant wallon » de Thomas Costenoble et Noé David (photographe) est disponible en librairies et sur notre e-shop au prix de 33 €.