Terminus Antarctique : découvrez un extrait !

Une aventure extraordinaire que vous raconte Didier Schmitt.

Saison 1 – Le papillon

Episode 1 : Obstination

Il reste peu d’endroits sur notre planète qui ne soient inexplorés, ou inexploités devrait-on dire. Du fait de sa localisation géographique, l’Antarctique est le seul continent resté inaccessible à homo sapiens. Il a fallu attendre homo technicus pour y faire des incursions.

Effectivement, établir une infrastructure habitée permanente, dédiée à la recherche au milieu du continent blanc, est un défi extraordinaire. Si le treizième travail d’Hercule est la Station spatiale internationale (l’ISS), alors la station Concordia au milieu de l’Antarctique est son équivalent sur terre. Les similitudes entre ces deux projets hors norme sont nombreuses du fait de la difficulté logistique engendrée par l’éloignement et la rudesse des environnements respectifs.

Pas étonnant que l’Antarctique et l’espace aient très vite attiré mon attention ! Dès le début des années quatre-vingt-dix, ma petite équipe de recherche sur le système immunitaire en environnements extrêmes avait comme cobayes les cosmonautes de la station spatiale Mir et les « habitants » de la base Dumont-d’Urville. Ce n’est donc pas un hasard si, en 2005, je fus invité par Gérard, l’ancien directeur de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), à me rendre sur la base Concordia pour une mission d’expertise. Nous travaillions alors ensemble à l’élaboration de synergies entre une base antarctique et une future base martienne. Il s’agissait d’une activité complémentaire au programme de préparation à l’exploration planétaire habitée que je dirigeais à l’Agence spatiale européenne (ESA).

Le voyage avait été planifié au plus court, c’est-à-dire près d’un mois. Il n’est pas simple d’accéder à la base qui est située sur un dôme de glace (le Dôme C) à 3 200 mètres d’altitude, et à 1 100 kilomètres à l’intérieur du continent. M’absenter si longtemps devenait difficile, du fait d’autres priorités. Quelques semaines avant le départ, j’ai dû me raviser. Cela m’a contrarié, bien entendu, mais je me suis dit que ce n’était que partie remise, et que j’irais l’année d’après. Les options sont limitées, car il n’est possible de se rendre en Antarctique que durant l’été austral, au mieux de mi-octobre à mi-mars. J’ai finalement cédé ma place à Oliver, un de mes adjoints, qui suivait ce dossier en particulier. Il était ravi !

Et nous voilà en 2016…

Le programme que nous avions planifié a bien été mis en place. Cela fait maintenant quatorze ans qu’un médecin hivernant réalise des expériences biomédicales pour le compte de l’ESA, sur les volontaires de la base. En parallèle, nous avons développé, grâce à mon collègue Christophe, une unité de recyclage des eaux de douche et de lave-linge (eaux dites « grises »). L’ESA a en effet un programme de support vie sans équivalent, afin de préparer les solutions technologiques pour la survie en vase clos dans un vaisseau en transit ou à la surface d’une autre planète.

Mais voilà, je n’avais jamais mis les pieds en Antarctique pour autant.

Année après année, d’autres impondérables se sont mis en travers du chemin. Se rendre au bout du monde n’est pas si facile. En premier lieu, se libérer professionnellement un mois en fin d’année restait toujours un casse-tête. À plusieurs reprises, j’avais préparé une mission pour les décideurs des organisations où je travaillais, afin de les sensibiliser aux enjeux du programme. À posteriori, cela n’était pas judicieux, car leurs agendas étaient bien entendu encore plus compliqués que le mien, et il a fallu annuler au dernier moment plusieurs tentatives.

La disponibilité personnelle n’est pas la seule difficulté. Se rendre sur Concordia en tant que « visiteur », c’est-à-dire sans être intégré dans une équipe logistique ou scientifique, est compliqué. Les personnels y vont soit pour l’été (1 à 4 mois), soit pour l’hiver (10 à 16 mois) ! Le plus usuel est de prendre le seul et unique bateau depuis la Tasmanie vers la base côtière de Dumont-d’Urville (DDU), ce qui est fastidieux et quelquefois aléatoire du point de vue de la durée. De DDU, il est ensuite possible de prendre un avion spécialement affrété, vers Concordia. D’autres options sont possibles, avec des arrangements entre instituts polaires, comme par exemple de partir en avion C130 Hercules de Christchurch en Nouvelle-Zélande vers la base américaine de McMurdo, et de là, vers Terra Nova Bay (où se trouve la base italienne Mario Zucchelli Station, ou MZS), puis vers Concordia, en bimoteur à hélices.

Ces complications connexes ont fait qu’à plusieurs reprises la logistique du côté de l’Institut polaire devenait un facteur limitant : comme un accident dramatique en 2010 ou des problèmes d’accès à la côte en 2013. Des arbitrages de priorités se rajoutent à tout cela, comme la visite en 2012 de Michel Rocard, alors ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique. Il était, depuis les années quatre-vingt déjà, un fervent défenseur de l’intérêt général des pôles, en se positionnant contre l’exploitation des ressources minières en Antarctique.

La justification d’un tel déplacement est un élément essentiel à sa possible réalisation. Bien entendu, avec le temps, mes responsabilités professionnelles avaient évolué. Malgré cela, l’idée de faire cette expédition au cœur du sixième continent continua de me hanter. S’ajoutait à cela la frustration d’un travail non accompli. En effet, j’avais élaboré un programme ambitieux, en plusieurs phases, pour arriver à simuler sur la base Concordia un séjour martien de 500 jours. Les aspects humains, les expériences scientifiques et de validation technologique que l’on peut y réaliser ont l’avantage d’être en situation opérationnelle.

Mon équipe et moi avions déjà mis en place des projets similaires entre les agences spatiales européenne, américaine, japonaise, canadienne et française pour l’organisation d’expérimentations cliniques hors du commun. Il s’agissait d’étudier des contre-mesures à la dégradation de l’organisme sur des volontaires sains durant un alitement strict. Nous avions réalisé des records de complexité et de durée avec des expériences de trois mois pour les hommes et de deux mois pour les femmes. Il s’agissait aussi d’un programme de simulation de mission spatiale. En parallèle, j’avais négocié avec mes homologues russes la réalisation de toutes les phases d’une mission martienne dans un simulateur. Au total, 520 jours d’isolement complet pour six membres d’équipage… mais au cœur de Moscou, dans l’Institut des problèmes médico-biologiques. Un tel simulateur permet d’être proche de la réalité d’un vaisseau spatial, mais n’a rien à voir avec les conditions et les dangers réels que l’on trouve à Concordia.

Plus le temps passait, moins j’avais de chances de réaliser ce rêve d’aller sur place. La décision est prise : c’est maintenant ou jamais ; une stratégie doit être élaborée. Tout d’abord, il faudra trouver du temps, puis une bonne raison de relancer une demande. Déclic ! Pourquoi ne pas essayer de participer au Raid en tant que médecin d’expédition ? Le Raid est une aventure mythique. C’est une expédition de ravitaillement logistique entre DDU et Concordia. Cela me parut d’emblée un projet très difficile à réaliser, mais néanmoins une bonne manière d’arriver à mes fins. Qui ne tente rien n’a rien. Mais cela demande une remise à niveau sérieuse de mes qualifications, et là encore, le temps est un obstacle. Se remettre dans le bain dans un service d’urgence hospitalier prendrait bien un jour par semaine pendant au moins six mois. L’alternative la plus raisonnable serait de ne pas prendre la responsabilité d’être l’unique médecin. Au total, l’initiative me prendrait bien un an. De toute façon, cela ne me ferait pas de mal de me remettre à la médecine.

J’échange quelques courriels pour valider l’idée d’une doublure médicale auprès d’Yves, le directeur actuel de l’IPEV et Gérard, avec qui j’ai continué de garder des contacts. Contact est établi avec Paul, le nouveau médecin-chef des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), à la Réunion. Il me met sur la liste des candidats. Vu l’expérience professionnelle qui est demandée, ce ne sera effectivement pas pour cette année ! L’avis de Claude, qui a été le médecin emblématique des TAAF pendant plusieurs décennies, me sera très utile. Nous nous connaissons depuis 25 ans. J’apprends ainsi qu’il existe un stage médical pour les interventions d’urgence en environnement difficile. C’est tout à fait ce qu’il me faut. Ce sera une petite remise à niveau de mon diplôme universitaire de médecine d’urgence de montagne qui date d’il y a 25 ans… La semaine de formation aura lieu sur les hauteurs de Chamonix. Je m’empresse de faire les arrangements administratifs afin de pouvoir me greffer sur cet enseignement conçu spécifiquement pour les médecins dans les TAAF.

En attendant, il me faut un minimum de préparation physique, ne serait-ce que pour le mental : pour se dire qu’on a fait quelque chose. Je ne suis pas de ceux qui font du sport pour le sport ; il me faut une motivation ou une finalité. En fait, je suis fainéant, comme tant d’autres. Je n’ai rien trouvé de mieux que le jogging. Pour commencer, avec Lucie, ma fille cadette. La première fois, cela fut très poussif. Le relais a été pris par mon collègue Emmanuel, très sportif et persuasif. Me voilà enrôlé deux fois par semaine pour courir pendant la pause déjeuner dans le grand parc du Cinquantenaire qui longe notre bureau à Bruxelles. Bien que je marche beaucoup chaque jour en me rendant à mon travail, marcher en montagne est d’un autre niveau. Alors, encore quelques séances de footing en tirant la langue et en traînant des pieds. Ça fait du bien… après coup.

Mi-septembre, un courriel d’Yves chamboule tout :

Sur le Raid logistique entre Cap Prudhomme et Concordia, il y aurait une possibilité. Sur le Raid 2 uniquement, et en tant que conducteur, pas comme médecin, car celui-ci est déjà identifié.

C’est inouï, cette concrétisation est bien plus rapide que prévu.

En fait, je suis surpris, car dans mon for intérieur, je n’étais pas encore prêt. Mais il ne faut pas longtemps pour assimiler une bonne nouvelle. Conducteur d’engins et aide logistique en Antarctique ! Et accessoirement médecin en second. Ça me va très bien, j’ai toujours été polyvalent et, quitte à faire cette expérience, il faut la vivre pleinement en s’intégrant totalement à une équipe.

Les choses se précisent, voire se précipitent. Fin septembre, je prends des congés pour me rendre à Chamonix. Cette semaine de formation prend encore plus d’importance, car ce sera une mise en condition, comme pour les autres médecins des TAAF. Nous sommes huit en tout. Christophe et Guillaume seront affectés aux îles Kerguelen, Anne-Claire à Crozet, Pierre-Emmanuel à DDU, Audrey à Amsterdam et Agathe sur le Marion Dufresne 2. Carole s’occupera des expériences biomédicales à Concordia, sous contrat avec l’ESA. Dès le début du programme scientifique à Concordia, j’avais demandé que ce soient des médecins et non des scientifiques qui s’occupent des expériences, car il est préférable d’avoir deux médecins sur place. Carole est réanimatrice à Londres ; cela peut s’avérer très utile en cas de problème sérieux.

Mes confrères ont tous une motivation différente. Pour les novices, c’est surtout l’attrait de la nouveauté et l’échappement à une routine ; pour ceux qui y ont déjà goûté, comme Pierre-Emmanuel, c’est l’envie de retrouver une quiétude. Il est d’ailleurs le sage qui transmet son calme intérieur ; les hivernants en auront besoin. Pour Carole, c’est assez différent ; elle souhaite candidater pour être astronaute.

Paul et Ivan, son médecin-adjoint du bureau des TAAF de Paris, sont venus pour évaluer la formation qu’ils ont mise en place.

Dans la ville de Chamonix, nous sommes logés dans un grand chalet gracieusement prêté par son propriétaire pour une nuit. Nous avons juste le temps de casse-croûter entre joyeux lurons et de préparer nos sacs.

Le lendemain matin, nous sommes privés de téléphérique, nous faisons l’ascension de 1 200 mètres de dénivelé à flanc de montagne, avec nos sacs à dos bien entendu. Destination le refuge du plan de l’Aiguille. Une petite balade pour les locaux, mais un peu rude pour les encroûtés comme moi. J’ai bien fait de me préparer a minima.

La formation se fait sous la houlette des médecins urgentistes qui exercent à l’hôpital de Sallanches, dans la vallée du mont Blanc. Des fans de la montagne, cela va sans dire. Je les suspecte bien sûr de vouloir d’emblée tester nos conditions physiques. C’est de bonne guerre.

Leur expertise est très pointue, car ils interviennent quotidiennement sur la traumatologie lourde au-delà de 3 000 mètres, dans des conditions souvent ardues. Pour nous, les techniques de secours sont adaptées aux conditions dans les îles subantarctiques et sur les bases antarctiques. Il y a de grandes différences avec l’hexagone : pas d’hélicoptère pendant l’hivernage ni de soutien logistique du PGHM (pelotons de gendarmerie de haute montagne) ; en revanche, ils nous encadreront ici. La particularité des bases insulaires est que les chercheurs – surtout les ornithologues – biologistes et géologues, se déplacent très loin pour les observations. Kerguelen, par exemple, est presque aussi grande que la Corse. Les secours médicaux dans ce milieu montagneux sont donc très difficiles à organiser. Sachant qu’à l’arrivée du blessé, il n’y a pas non plus d’infrastructures hospitalières très développées ni de comité d’accueil spécialisé.

Frédéric, François et les autres urgentistes ont facilement su s’adapter à ces contraintes dans la formation, car ils ont déjà vécu ce genre de situations. Certains ont déjà fait un hivernage dans les TAAF ou de la médicalisation en environnement isolé, comme dans des camps de base de l’Himalaya. Frédéric nous a d’ailleurs bluffés en racontant qu’il a médicalisé le tournage du film La Marche de l’empereur ! Il a aussi fait des treks extrêmes dans le Grand Nord canadien. Donc, tous des héros ! Cela a de suite relativisé mon exploit à venir. À chacun son niveau de challenge…

Dès le début des cours, Paul met les choses au point :

— Si vous avez un gros souci qui demande une évacuation sanitaire sur les îles Kerguelen, Amsterdam ou Crozet, au mieux vous aurez la chance de trouver un bateau de pêche qui peut être dérouté, ou alors appeler la Marine nationale basée à la Réunion qui mettra une semaine pour arriver. Il y a aussi le Marion Dufresne 2 qui fait la navette de ravitaillement entre les îles Australes (y compris les îles éparses) ; par chance il sera dans les parages, mais uniquement pendant l’été austral. Autant dire qu’il vaut mieux éviter de telles situations. Mais avec une centaine de personnes travaillant sur les bases, et souvent en situation difficile à l’extérieur, des accidents arrivent. À Dumont-d’Urville, et surtout sur la base Concordia, la situation est encore plus critique, car de début mars à fin octobre, personne ne pourra vous venir en aide du tout.

Dans la soirée, au refuge, nous avons la visite de Claude. Sa très longue expérience nous sera bien nécessaire. Il y a évidemment de la nostalgie chez lui, après avoir passé 38 ans dans ce milieu très particulier.

La nourriture du refuge est excellente. Les dortoirs sont exigus comme toujours en montagne ; ne pas oublier les Boules quies… Une semaine en vase clos dans ce refuge me permet de vérifier que j’ai le minimum nécessaire dans le paquetage pour ma future randonnée de huit semaines !

Au détour d’une conversation, j’apprends que tous les médecins hivernants dans les districts des TAAF sont sous contrat de l’armée française pendant deux ans. Cela comprend une formation de quatre mois, puis le séjour sur place qui varie de 12 à 15 mois, et au retour des congés bien mérités pour la « réinsertion » dans le monde « normal ». Ils ont été sélectionnés sur des critères professionnels et d’expérience de terrain, mais aussi et surtout psychologiques. Leur tâche est particulièrement difficile et délicate. Ils sont à la fois le médecin polyvalent, bien entendu, mais aussi le confident – le curé, en quelque sorte – et le numéro deux de la base. Dans un milieu très restreint, cela devient assez vite singulier, car on ne parle pas de la même façon à un médecin qui est un collègue de travail, voire un ami. L’hiver à Kerguelen, il n’y a guère que 50 âmes, 25 à Crozet, 20 à Amsterdam, 25 à DDU et 13 à Concordia.

Paul est très attentif au déroulement des opérations. Être sur place lui permet de mieux connaître chacun des médecins, car il devra les soutenir quand ils auront besoin de lui, à distance depuis la Réunion. Il y a toujours un moment où des avis devront être pris auprès de spécialistes par son intermédiaire et par télémédecine. Il est aussi leur référent, car si tous les hivernants peuvent se confier au médecin de la base, ce dernier ne peut pas en faire autant.

Pour clôturer les activités de la journée, chaque soir nous avons des séances de présentation sur les éléments médicaux particuliers dont il faut tenir compte dans les prises en charge, comme l’anesthésie générale, les hypothermies, ou l’hypoxie – le manque d’oxygène – à Concordia.

Curieusement, je n’ai pas trouvé à ce stade de très grands progrès depuis un quart de siècle pour la médecine d’urgence en montagne, en tout cas dans les premières heures avant l’hospitalisation. Il est vrai qu’extraire un traumatisé sur une falaise se fait toujours de la même façon, mis à part des systèmes de nouvelles poulies « intelligentes ». Sauf qu’à mon époque, il n’y avait pas de robot de massage cardiaque ! Impressionnant, mais il ne sera pas en dotation sur les bases, car nous n’emmenons pas non plus tout un service de réanimation… Il y a bien sûr du nouveau dans la prise en charge, car les scopes-ECG font leurs analyses automatiquement et décident de l’électro-choc. Il y a aussi les enzymes pour dissoudre les caillots des infarctus que l’on injecte sur place et non plus au service de cardiologie. Au fur et à mesure des améliorations, c’est l’hôpital qui vient au patient et non l’inverse.

À la fin de la semaine, révision générale. Un appel est lancé pour une chute de 20 mètres dans une pente très abrupte. Pas d’autre information sur l’état de la victime. Deux équipes se mettent en route, après avoir savamment choisi le matériel à emporter. Trop en emporter, c’est ralentir la progression et s’épuiser pour rien, et pas assez de matériel, c’est un risque aussi. Il a fallu trois heures en tout pour mettre en place le système de treuillage, puis « conditionner » l’accidenté dans une civière et le remonter. Cela fut encore plus éprouvant pour le malade simulateur que pour les quatorze bras qui l’ont extrait de là. Nous étions livrés à nous-mêmes, mais sous la vigilance de notre « gendarmette » guide de haute montagne. Il aurait été embêtant d’avoir un réel accident pendant la simulation… Tous étaient soulagés après ce coup d’essai réussi du premier coup. Mais si l’on se trouvait au milieu des îles Kerguelen, il aurait encore fallu une journée de marche, avec du matériel de campement en plus. Et cela dans la neige, le froid et le vent. Et une fois de retour à la base, pas de supervision comme ici.

C’est pourquoi le médecin devra à son tour former des volontaires à ce type d’exercice dès son arrivée à la base. Une fois le blessé ramené à « l’hôpital » de la base, ni le médecin ni le malade ne sont sortis d’affaire. Il faudra aussi former des assistants pour les soins ; des aides-infirmiers en sorte. Car là où le travail de l’urgentiste s’arrête, commence celui de l’anesthésiste, du chirurgien, puis du réanimateur. Sauf que dans les TAAF, c’est toujours l’unique et même personne. Cela est très éprouvant physiquement et moralement. Sans compter qu’il faut s’occuper du laboratoire d’analyse médicale, de l’échographie, de la radio… Un certain nombre d’actes doivent obligatoirement être à la portée de nos super-médecins, comme une trépanation pour évacuer un caillot compressif sur un traumatisme crânien, ou une appendicectomie. Il n’y a qu’un médecin des TAAF par base, à l’exception des Kerguelen où il y a un interne en plus, car les bateaux de pêche y amènent leurs blessés graves et il peut arriver qu’un médecin doive accompagner un rapatriement. Nombre de ces cas se sont déjà produits. Pire encore, dans les années soixante, un médecin russe de la base de Vostok s’est opéré lui-même… justement de l’appendice. Cerise sur le gâteau, cette année-là, il a fallu rester un an de plus sur place pour cause de restrictions budgétaires.

Oui, le service médical en milieu extrême repose sur des femmes et des hommes avec une responsabilité énorme et complètement méconnue. Et si le degré de gravité « traitable » sur place est dépassé, alors Inch Allah ! Autant dire que la prévention doit être le maître-mot. Le rôle le plus important du médecin est finalement la minimisation des risques.

Un dernier coup d’œil sur ces paysages magnifiques entre la France et l’Italie depuis l’aiguille du Midi et nous voilà sur le chemin du retour. Je les quitte avec regret, car une semaine intense en vase clos dans un refuge a engendré une cohésion de groupe. Je les envie aussi, car je suis toujours curieux de tout et aurais bien continué cette formation. Les voilà partis pour Paris dans les locaux des TAAF pour des briefings administratifs – sûrement le plus pénible. Après cela, quelques jours de dissection sur cadavre pour les rudiments de chirurgie et affinement en salle d’opération pendant une semaine. Puis, séance d’entraînement de transfusion sanguine dernier cri avec le matériel qu’utilise l’armée en OPEX (opérations extérieures). Sans compter la formation en dentisterie, radiologie, et autres.

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