« Ne […] pas se satisfaire de commémorer les grands affrontements »

Paul-Henry Gendebien le précise, cela ne suffit pas. Il faut également « songer aux épreuves qui accablèrent les petites localités de notre pays wallon, enfouies jusqu’alors dans leurs paisibles campagnes ». Dans ce livre, l’auteur choisit d’introduire deux témoignages de la Première Guerre mondiale, celui d’un enfant de guerre, Paul Pirson, et celui d’une religieuse-infirmière, sœur Anne-Marie.

Avant-Propos

« … ILS ONT VU ET ENTENDU LE PIRE ET LE MEILLEUR DONT L’ESPÈCE HUMAINE PEUT SE MONTRER CAPABLE… »

Août 1914, samedi 22 et dimanche 23. Les armées allemande et française se livrent des combats sans merci sur le territoire de la Wallonie. C’est « la bataille des Frontières ». Journées les plus meurtrières de toute la Première Guerre mondiale et de toute l’histoire de France. Journées de malheur pour les soldats comme pour les civils. Journées de représailles et de massacres, avec leurs cortèges de deuils.

Deux témoins directs ont vécu l’invasion allemande dans leurs villages, Maissin en province de Luxembourg, et Marbaix-la-Tour dans l’Entre-Sambre-et-Meuse hennuyère. Leur existence en fut bouleversée.

Le 22 août, à Maissin, un garçon de cinq ans se trouva au coeur de la tourmente, en compagnie de son père, l’instituteur communal. Jamais le jeune Paul Pirson n’oublierait le vacarme des explosions, l’âcre fumée des fermes incendiées, le gémissement des blessés couchés dans les rues. Plus tard, il deviendra aumônier militaire et ce n’est qu’au soir de sa vie qu’il rédigera ses souvenirs.

À Marbaix-la-Tour, une religieuse infirmière, soeur Anne-Marie, avait été chargée par les autorités belges de diriger une ambulance de la Croix-Rouge installée au château de La Pasture. Dans son récit imagé, elle relate la bataille qui s’y est déroulée le 23 août. Elle décrit les souffrances des blessés et les soins qu’elle-même et sa petite équipe leur administrent, qu’ils fussent Français ou Allemands. On admirera la générosité inlassable de soeur Anne-Marie, son sang-froid au milieu de la soldatesque ennemie, son habile ingéniosité en face des candidats au pillage. Elle dépeint des officiers du Kaiser prussien, Guillaume II, parfois veules et brutaux, parfois bien élevés et admirateurs de la France…

L’abbé Paul Pirson et soeur Anne-Marie ajoutent une pierre précieuse à l’historiographie de la Grande Guerre de 1914-1918. Tous deux ont tenu bon à leur manière. Tous deux ont vu et entendu le pire comme le meilleur, dont l’espèce humaine peut se montrer capable. À côté et au-delà des enjeux stratégiques et diplomatiques du conflit, tous deux nous invitent à mesurer la dimension individuelle et personnelle de l’immense cataclysme européen du début du xxe siècle. Honneur leur soit rendu pour la dignité de leur comportement et pour leur contribution à l’enrichissement de notre mémoire collective.

Dans les documents inédits que nous publions ici, l’information et l’émotion se sont donné rendez-vous. Ils nous parlent d’un temps qui déjà s’éloigne, mais qui n’en demeure pas moins proche de nous, surtout pour ceux et celles qui sont encore les petits-fils et les petites-filles des combattants. Ils nous font revivre une époque où les héros ne se comptaient pas seulement parmi les généraux, mais étaient en nombre dans les rangs des simples soldats et chez les civils anonymes.

Cent ans après l’armistice de 1918, il ne faudrait pas se satisfaire de deux villages wallons dans l’enfer de la grande guerre commémorer seulement les grands affrontements (l’Yser, Verdun, la Somme…). Il convient absolument de songer aussi aux épreuves qui accablèrent les petites localités de notre pays wallon, enfouies jusqu’alors dans leurs paisibles campagnes.

Ainsi, la plus violente des tempêtes s’était abattue sur des lieux très ordinaires. Les cérémonies officielles ne peuvent pas l’oublier : en 1914-1918, comme pendant la plupart des guerres, les faits et gestes les plus modestes, les actes de bravoure accomplis par ceux que l’on nomme à tort « les petites gens », l’esprit de résistance du peuple, appartenaient eux aussi à la véritable Histoire, laquelle, comme on le sait, est à la fois tragique et édifiante.

Paul-Henry Gendebien

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